2024年11月30日 星期六
科技考古學講師林思棻(轉載)
Delphine Syvilay
Maîtresse de conférences
en archéométrie
On passait tellement de temps dans la cathédrale qu’elle a fini par
avoir un aspect presque vivant pour nous.
Aujourd’hui maîtresse de conférences à Sorbonne Université Abu Dhabi,
Delphine Syvilay a vécu l'aventure Notre-Dame de Paris de l'intérieur. Entre
vestiges médiévaux et technologies de pointe, elle nous plonge dans les
coulisses d'un chantier hors norme, où l'urgence patrimoniale se mêle à
l'aventure personnelle. Portrait d'une scientifique passionnée qui fait parler
les pierres et les métaux.
De l'histoire de l'art aux lasers
Adolescente, Delphine Syvilay rêvait d'arpenter les couloirs des musées
et déchiffrer les énigmes du passé. L’histoire de l'art et l'archéologie la
font vibrer et durant ses voyages à travers le monde, elle espère tisser un
jour « un lien particulier avec un monument ». Un pressentiment qui se révélera
prophétique.
Durant sa licence de physique à l'université Pierre et Marie Curie, Delphine
Syvilay découvre une nouvelle discipline : l’unité d’enseignement «
Interdisciplinarité et matériaux du patrimoine » qui a
pour ambition de dépasser le clivage entre sciences humaines et sciences dures.
Une révélation. La suite ? Un master en matériaux du patrimoine à Paris 7, une
introduction aux sciences de la conservation, puis un stage au laboratoire de
recherche des monuments historiques (LRMH)
où elle se spécialise en archéométrie. « Une discipline qui consiste à utiliser
les sciences comme la physique, la chimie, la géologie, pour l'analyse et
l'étude des matériaux du patrimoine », explique-t-elle.
Fraîchement diplômée, elle est embauchée comme ingénieure au LRMH. Sa
mission ? Ausculter la cathédrale de Beauvais, joyau de l’architecture
gothique. Un an à scruter les secrets de sa couverture en plomb, avant
d’entamer une thèse en partenariat avec l'université de Cergy-Pontoise. Son
sujet ? développer des outils spectroscopiques à base de laser pour décrypter
les matériaux du patrimoine. Des métaux aux peintures murales, Delphine Syvilay
traque la lumière qui révèle l'invisible.
Son doctorat en poche, elle met le cap sur Bordeaux pour un post-doc.
Deux ans plus tard, alors qu’elle rejoint le LRMH pour un contrat de trois
mois, survient l'impensable : Notre-Dame de Paris s'embrase, et avec elle, des
siècles d’histoire. Son expertise sur le plomb de la cathédrale de Beauvais est
précieuse et son contrat de trois mois se transforme en trois années dans l’un
des plus grands chantiers patrimoniaux du siècle.
Notre-Dame : l'urgence patrimoniale
Delphine Syvilay se souvient encore de ce vendredi 15 avril 2019, à 18h,
alors qu’elle s'apprêtait à quitter le laboratoire. Structure du ministère de
la Culture, le LRMH où elle travaille a pour mission d'intervenir rapidement
lors d’un incident sur un monument pour mesurer les dégâts afin d’apporter un
conseil scientifique pour la restauration. Aussi, une semaine après le drame,
la scientifique se retrouve dans la cathédrale meurtrie. « Nous avons
été parmi les premiers à accéder à la cathédrale », explique-t-elle.
Le choc est immense lorsqu'elle pénètre dans l’édifice. « Malgré tout,
je n'avais jamais vu Notre-Dame aussi belle. Il y avait cette ouverture béante
dans la croisée, avec la lumière qui pénétrait de plus en plus à mesure que les
maîtres verriers déposaient les baies », se remémore-t-elle avec émotion.
Le tableau qu'elle dépeint est saisissant : une cathédrale baignée d'une
lumière jamais vue où s’active une poignée de spécialistes dans l'immensité
silencieuse du monument. Archéologues, architectes, chercheurs, cordistes...
Chacun apporte son expertise dans cette course contre la montre.
Des découvertes inattendues
Au fil des semaines, les découvertes s'accumulent. Équipée d'un masque à
ventilation assistée pour se protéger du plomb, elle trie les vestiges qu’un
robot collecte dans les zones non sécurisées. Un travail physique. « On
ne se rendait pas compte de l'immense tâche. Je pense, si on nous l'avait dit
en avance, on ne l'aurait jamais fait », confie-t-elle. Avec ses
collègues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, du
Service régional de l'archéologie, du Centre de recherche et de restauration
des musées de France et du CNRS, ils vont trier ces vestiges pendant plus de 2
ans et dresser un inventaire minutieux : fragments de toiture en plomb, décors
de la flèche, armatures en fer, clous, agrafes... Chaque élément est
soigneusement répertorié et analysé. « C’était comme reconstituer un
immense puzzle », précise-t-elle.
L'incendie de Notre-Dame pose également de nouvelles questions aux
chercheurs et à l’Etablissement Public et à la maîtrise d’œuvre. Comment
choisir le meilleur alliage de plomb pour la nouvelle couverture ? Comment
éviter le brunissement observé sur d'autres cathédrales ? Pour tenter d’y
répondre, des bancs expérimentaux sont mis en place afin d’étudier l’angle de
la toiture, la technique de laminage du plomb, etc. Un travail essentiel pour
restaurer la cathédrale en respectant les techniques d'origine. « Il
était également crucial que la maîtrise d'œuvre puisse estimer la quantité de
plomb relâchée par la cathédrale, afin de mettre en œuvre les solutions
techniques adéquates pour préserver l’environnement », souligne la
chercheuse.
Une enquête archéologique de haut vol
La coordination avec les autres corps de métier est essentielle dans le
chantier. « Nous étions tous très intéressés par le travail des autres, et il y
avait une entraide remarquable entre tous les professionnels »,
souligne-t-elle. Un jour, un cordiste lui signale des inscriptions sur les
pierres de la cathédrale. Ce qui n'était au départ qu'une curiosité se
transforme en véritable projet scientifique. Pendant des mois, son collègue et
elle examinent chaque pierre. « J’ai même suivi une formations de
cordiste pour faire des relevés sur les murs extérieurs et les tours hautes de
70 mètres », raconte la scientifique.
Plus de 1300 signes lapidaires et 200 graffitis sont recensés. « Le
plus vieux graffiti que nous avons trouvé date de 1612, et le plus récent, du
jour de l'incendie », précise la chercheuse. Avec la
restauration et l’érosion de la façade, certains de ces signes vont
disparaître. Il était donc
essentiel de les documenter. »
Delphine Syvilay |
Une expérience sensorielle unique
Le chantier de Notre-Dame n'a pas été qu'un défi scientifique. Il fut
aussi une expérience unique pour la jeune chercheuse. « Pendant le
confinement, nous faisions partie des rares personnes à être autorisées à venir
travailler sur site. Nous devions parfois nous y rendre à 6h du matin ou tard
le soir, en fonction des disponibilités des accès ou des cordistes. Grâce aux échafaudages,
nous avions accès à des zones inaccessibles en temps normal. Nous avions nos
endroits préférés, comme entre les deux tours où nous prenions des pauses. On
passait tellement de temps dans la cathédrale, à chaque saison, à chaque heure
de la journée, qu’elle a fini par avoir un aspect presque vivant pour nous. On
connaissait ses moindres recoins, le bruit du vent dans les échafaudages, les
oiseaux qui avaient fait leur nid… », se souvient-elle avec émotion.
Des cathédrales françaises aux sables d’Abu Dhabi
Le souvenir de Notre-Dame en tête, Delphine change radicalement de
décor, à la fin de son contrat, en septembre 2022. Direction Sorbonne Abu Dhabi
où elle obtient un poste de maîtresse de conférences. Là-bas, son équipe et
elle souhaite développer un laboratoire d'archéométrie car si les gratte-ciels
d'Abu Dhabi n'ont rien à voir avec les flèches gothiques, le sol du pays
regorge de trésors archéologiques. « J'essaie de rencontrer des
archéologues de missions françaises de la péninsule arabique dans l’optique
de faire du laboratoire un pôle d'analyse pour les missions
archéologiques internationales et locales », explique-t-elle. Le défi
est de taille. « On part de zéro », admet-elle, enthousiaste.
Pour la chercheuse, l'archéométrie du XXIe siècle doit s’appuyer sur les
innovations technologiques. « Nous avons utilisé des drones et acheté
de nouveaux équipements pour réaliser des analyses. Le traitement des données
devient également essentiel, affirme-t-elle. L’œil humain ne
suffit plus. Les mathématiques et la statistique sont nécessaires pour
appréhender la masse d'informations générées sur le terrain ou en
laboratoire ».
La science pour tous
Un pied à Paris, l'autre à Abu Dhabi, Delphine Syvilay jongle entre deux
mondes. « J'aime beaucoup cette complémentarité. En France, je continue
à travailler sur Notre-Dame, à participer aux conférences, et à échanger avec
mes collègues sur l'avancée des recherches. Et ici, à Abu Dhabi, je développe
des projets autour des sites archéologiques locaux, tout en apportant certaines
méthodes et technologies utilisées dans mes précédents chantiers. »
Entre passé et présent, Orient et Occident, la chercheuse participe
également aux réflexions sur la création d’un musée qui permettra de valoriser
les données scientifiques recueillies autour de Notre-Dame. « Ce musée
pourrait devenir une référence en matière d’innovation dans la manière dont on
présente et transmet le patrimoine aux visiteurs. L’idée est que chacun puisse
se réapproprier le monument, le comprenne mieux et s’y attache non seulement à
travers les connaissances historiques, mais aussi via une approche plus
immersive et émotionnelle, explique-t-elle. Il s’agirait par
exemple de reconstituer certaines parties de la cathédrale grâce à la réalité
virtuelle, proposer des visites interactives ou encore partager les résultats
scientifiques de manière innovante. »
Un défi qui rappelle l’exposition
qu’elle a organisée en 2024 à Abu Dhabi pour
illustrer l'ampleur du chantier scientifique de Notre-Dame. « Je pense
que nous avons une responsabilité en tant que chercheurs de ne pas garder nos
découvertes pour nous, mais de les partager, et pas seulement avec des
spécialistes. Les outils numériques, les expériences immersives, tout cela nous
permet de toucher un public plus large et de donner vie aux monuments d’une
manière nouvelle », conclut-elle.